Noël est
inimitable ! Qu’on ait la Foi ou qu’on ne l’ait pas, qu’on l’ait perdue ou
qu’on la garde, chaque année Noël revient avec la même joie, le même élan, la
même saveur, le même parfum de poésie. Jusqu’à la fin du monde sur un lit de paille
sous le souffle bienveillant de bêtes charitables, l’Enfant Jésus entouré de
Marie et de Joseph frappe à la porte de nos vies, suppliant l’humanité de lui
ouvrir grand les bras et de se laisser vaincre, enfin, par cet amour infini
qui, sur le visage d’un nouveau-né endormi, raconte toute la beauté de
l’univers. Noël n’a vraiment pas son pareil. Et même si certains veulent
anéantir cette fête, sortir la société de tout contexte religieux, ils ne
pourront rien faire. Noël restera Noël car ils ont contre eux, et dans cet
ordre : les enfants, les poètes, et les êtres sensibles qui, grâce à Dieu,
peuplent la terre et se partagent la beauté du monde. En cette nuit, prenons en
bien la mesure, dans les églises du monde entier, sous les cantiques qui soulèvent
une larme et la conduise au coin de l’œil, mais aussi aux tables des familles,
en ouvrant tout à l’heure nos cadeaux, sous les yeux mouillés de tendresse des
êtres qui nous sont chers, nous redevenons des hommes capables d’intelligence
et d’émotion. Et justement, Noël est là, Noël existe. Et chaque année il
revient sous la voûte étoilée pour reconstruire et réparer notre humanité qui a
la mauvaise tendance de tourner sur elle-même prisonnière de ses intérêts
égoïstes jusqu’à la moelle. Il faut au moins qu’une fois par an, et c’est cette
nuit, le ciel s’entrouvre et que l’homme redevienne un homme avec un cœur qui
bat pour autre chose que son portefeuille ; et que les douleurs,
parlons-en des douleurs, les souffrances, les peines, les humiliations, les
dévalorisations en tout genre et jusqu’au bruit des choses de la vie que nous
avons essuyé en cette année qui s’achève, il faut que tout cela meurt. Et tout
cela va mourir cette nuit grâce à l’enfant Dieu qui, les yeux clos, prétend, et
il l’a montré, être le prince de l’amour, l’inventeur du bonheur, l’unique
Sauveur du monde.
Si donc nous voulons
renaître ce soir, renaître à une vie nouvelle, mettre à mort toutes les formes
de désespoir et même rajeunir alors que les jours s’enfuient en gardant sur les
lèvres l’inestimable sourire dont Dieu n’a gratifié que les humains, il n’y a
qu’un seul chemin, c’est celui qui conduit à Bethléem et qui écrit en lettres
d’or sur fond de pauvreté la plus belle histoire jamais racontée. Cette histoire,
elle est vraie. Ce n’est pas un mythe, nous ne célébrons pas une légende
imaginée par la sainte Eglise qui n’a pas l’habitude de mentir. Nous célébrons
un fait historique, advenu en terre de Judée au temps de l’empereur Auguste
qui, par bonheur, avait la passion des statistiques et qui donc ordonna un
recensement de ce que l’on croyait être à l’époque tout l’univers. A la suite de Jules César en procédant au
cadastre de tout l’empire, Auguste, sans le savoir, va jeter sur la route les
êtres les plus extraordinaires qui soit, Joseph et Marie, en direction de
Bethléem ; et il va ainsi contribuer à la poésie de l’histoire. A travers
ce fait, retenons bien ceci mes frères, car la leçon est précieuse, c’est un
recensement administratif, par nature aveugle et peu soucieux des personnes car
il faut se mettre en route pour se faire inscrire dans sa ville d’origine quel
que soit l’état de santé, la fatigue ressentie, l’âge ou les empêchements de
toutes sortes, c’est ce recensement, cet évènement aussi plat que peut l’être
un imprimé de la sécurité sociale, mais déstabilisant aussi pour la vie
quotidienne, qui va causer les circonstances merveilleuses de la naissance de
Jésus.
Disons le tout de suite,
les évènements de quelques natures qu’ils soient sont une toile sur laquelle Dieu
écrit notre histoire personnelle, et ces évènements si nous les contournons
parce qu’ils nous déplaisent, parce qu’ils semblent contrarier l’idée que nous
avions l’intention de servir, le projet auquel nous tenions par-dessus tout,
nous risquons alors de passer tout simplement à côté de notre bonheur le plus
profond, celui que Dieu a pensé pour nous, celui qu’Il a rêvé depuis toute
éternité. Insistons sur le fait qu’il a fallu ce recensement, il a fallu que
Joseph et Marie soient bousculés dans leurs existences et par la suite rejetés
puisque les portes d’une auberge ce sont fermées devant eux, pour que l’étable
de Bethléem, reproduite en cette nuit dans toutes les églises du monde et dans
des multitudes de maisons, devienne le palais de Dieu et une mangeoire son
berceau. Si Jésus était né tranquillement à Nazareth, bien au chaud, sur la
couche de Marie, ou plus dignement, eu égard à son état, dans la demeure du
grand prêtre, croyez-moi Noël n’aurait pas reçu le pouvoir de fasciner les
hommes. Nos crèches et nos santons n’auraient jamais vus le jour. Et plus
encore le Christ n’aurait pas pu montrer, dès la première heure, et cela eut
été grandement dommage, jusqu’où Dieu était capable d’aller pour nous
manifester son amour fou. Car il fallait en premier lieu que Jésus dise au
monde, en poussant son premier cri, qu’Il venait pour sauver, en épousant leurs
conditions, les plus oubliés de la terre. Chateaubriand l’a magnifiquement
exprimé dans un lyrisme inégalé et voici ces mots : « Jésus n’est
point né dans la pourpre, mais dans l’asile de l’indigence et par ce premier
acte de sa vie il s’est déclaré de préférence le Dieu des misérables ».
Mais surtout ne nous inquiétons pas les misérables c’est nous, c’est au fond
toute l’humanité. Mais tout de même, tout de même, il est vrai qu’il y’a chez
Dieu une sorte d’attrait, de préférence, pour les pauvres, pour les laissés
pour compte pour les moins lotis. C’est ainsi, on ne changera pas son goût. Et
puis reconnaissons objectivement que l’humble condition que Jésus a épousée
n’offusque pas, en principe, les êtres les plus nantis. Tandis que si le Christ
était né dans un contexte d’abondance, les pauvres se seraient sentis gênés et
peut être même lâché par Dieu. Par conséquent, qu’il s’agisse de ce fameux
recensement où des conditions difficiles, voire pénibles et inattendues
surtout, dans lesquelles le Sauveur est né souvenons-nous que ces faits,
humainement peu favorables au Christ, ont servis sa cause. Et si cette nuit
nous comprenons que Dieu nous conduit en créant de toutes pièces des
circonstances, des situations, des évènements ou en les permettant, les années
qui nous restent à vivre seront heureuses. Parce qu’au lieu de nous constituer
en arbitre de la vie nous en serons les humbles serviteurs et mille surprises
seront alors possibles venant directement de Dieu notre Père Lui qui sait mieux
que personne ce qu’il nous faut en matière de bonheur. C’est dire qu’il faut se
laisser conduire par Dieu, comme on se laisse emporter par un amour. Marc
Aurèle, empereur et philosophes du 2ème siècle après Jésus-Christ,
possédait déjà la juste lumière lorsqu’il donnait ce conseil à l’un de ses
disciples, écoutons l’empereur : « réfléchis disait-il, réfléchis
souvent à l’enchaînement de toutes choses dans le monde et à leurs rapports
réciproques. Les choses sont, pourrait-on dire, entrelacer les unes aux autres
et partant de là elles ont les unes pour les autres une mutuelle amitié en
vertu de la connexion qui les entraine ». Cette connexion, nous, nous
l’appelons Dieu. Et seize siècles plus tard Balzac ne craignait pas d’annoncer
haut et fort que l’homme supérieur c’est celui qui épouse les évènements et les
circonstances. Malheureusement nous n’en sommes plus là n’est-ce pas, ça fait
longtemps que cette sagesse nous a quitté. Les hommes, c’est-à-dire nous, nous
voulons tout maitriser, tout organiser, tout tenir, tout décider par nous-même,
et le présent et l’avenir, nous voulons tout obtenir et tout de suite, n’être
contrarié en rien, et tout ce qui nous gêne aux entournures de la vie nous mets
dans des états de révolte, de mécontentement, de tristesse et c’est grave. Nous
ne sommes plus capables d’adaptation. La voiture ne démarre pas, un train a du
retard, on crie comme des putois que c’est inadmissible. Et il y’a peut-être
pourtant derrière ces circonstances que nous jugeons négatives pas moins qu’une
intervention divine voulant peut être nous préserver d’un danger imminent. Et
nous qui sommes des amis de Jésus ; il y’a aussi cette parole
extraordinaire de St Paul qui ne doit pas cesser de nous habiter parce qu’elle
est pleine d’espérance on la trouve dans la lettre aux romains chapitre 8 verset
28 écoutons la : « tout concourt au bien de ceux qui aiment
Dieu ». Tout, tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. Et St
Augustin, en commentant ce verset, ira même jusqu’à dire : même le péché.
Tout concourt. Ou plutôt, tout fini par concourir au bien de ceux qui aiment
Dieu. C’est dire que les évènements, quels qu’ils soient, positifs ou négatifs
à nos propres yeux, mais aussi nos rencontres, nos liens, nos amitiés, entrent
mystérieusement dans un plan qui nous échappe. Et même une relation amoureuse
qui ne s’est pas continuée sur le temps, c’est certes regrettable, mais un
enfant a vu le jour et cet enfant qui est un bien, Dieu le voulait. C’est Dieu
qui recycle le mal et qui en fait jaillir un bien.
Si cette nuit nous
gardons cette lumière de sagesse dans notre cœur et surtout si nous nous
décidons à prendre la vie comme elle nous est donnée avec ses joies, ses
douleurs, ses limites, ses grâces, alors la sérénité sera au rendez-vous de nos
journées, nous ne perdrons jamais la paix intérieur et, progressivement, alors que
les années nous auront offert le recul nécessaire pour regarder notre vie, nous
comprendrons à quel point nous avons été conduit par Dieu avec intelligence et
amour. Les évènements de notre vie sont voulus par Dieu et confiés à notre
garde. C’est à la fin seulement que nous y verrons clair. La preuve et bien la
voici, miraculeusement présente en cette nuit sainte, après bien des épreuves
et la fatigue du voyage, Dieu met sous les yeux de Joseph qui était perdu, qui
ne savait plus où aller, sa femme était enceinte, sur le point d’accoucher,
Dieu met sous ses yeux une pauvre étable et là rien ne va manquer : de la paille fraîche, un âne et un bœuf aux
souffles puissants, une mangeoire facilement adaptable en berceau et pour
couronner le tout, par-delà la tendresse infinie de Joseph et de Marie,
l’arrivée inattendue des bergers qui, au chant du Gloria, alertés par les
anges, ont laissé leurs moutons et se sont précipités vers la crèche plus
pauvres que Job mais plus heureux que Crésus. Et les voilà maintenant ces
bergers devant la grotte, nos chers bergers, c’est ainsi que nous pouvons les
imaginer, recoiffant de leurs doigts leurs cheveux noirs et frisés, ajustant
leurs tuniques pour paraître plus digne devant un enfant dont les yeux ne sont
pas encore ouverts.
Redisons nous ce soir
comme jamais, et cela nous fait du bien, que ces hommes, ces bergers étaient
méprisés par leurs concitoyens. Voilà la vérité. Leurs coutumes rustres, leurs
vies de nomades les mettaient dans l’impossibilité de pouvoir fréquenter le
temple et la synagogue. Ils étaient exclus et par conséquent ils ne pouvaient
pas vivre les observances légales et c’est pourquoi personne n’enviait leurs
sorts. C’étaient des rebuts de la société. Et sans doute parmi ces bergers
certains devaient trouver leurs vies bien rudes et voulaient en changer ;
et bien en la nuit sainte de Noël il est certain que pas un seul parmi eux n’a
regretté son propre destin apparemment méprisable. En voyant Dieu venir les
chercher en premier pour qu’ils assistent aux premières loges au sommeil de
l’enfant Jésus, ils ont dû comprendre comme jamais que leurs existences
difficiles, leur profession méprisée et peu enviable avaient du prix et n’étaient
donc pas un empêchement au bonheur. Partout on peut être heureux. Puissions-nous,
en cette nuit de Noël, ne pas oublier cette grande vérité. Car le bonheur n’est
pas dans le rêve, dans la nouveauté à tout prix, dans l’accumulation des biens,
dans l’usage immodéré de l’argent, dans la position sociale, dans l’idolâtrie
du bien-être, non. Le bonheur il est dans le contentement de ce que l’on a, il
est dans une certaine habitude de vie qui rassure et stabilise, il est dans
l’acceptation de nos limites et de notre condition sociale, il est dans la
volonté de faire suinter la joie du présent, il est dans les petits plaisirs de
la vie, il est dans la petite omelette que l’on partage à deux sur un coin de
table, il est dans un engagement que l’on tient, il est dans un amour que l’on
continue d’estimer sur le temps, il est dans l’admiration que l’on porte à
l’être cher, il est dans la volonté de le soutenir à tout prix, il est dans la
conscience de la chance que l’on a d’être aimé, il est dans un simple baiser
bien pensé que l’on donne uniquement pour combler, il est dans un regard
prolongé que l’on porte avec attention sur celle ou celui que l’on aime, il est
dans une harmonique que l’on veut à tout prix construire ou préserver au sein
de la famille, il est dans le désir d’aimer même celui qui nous déçoit, il est
dans la volonté de pardonner si aigüe qu’ait été l’offense, il est dans le
parfait oubli de soi-même et dans la mort de nos égoïsmes, il est dans les yeux
du vieillard qui est heureux de recevoir un baiser de ses petits-enfants, il
est dans le sourire immaculé de vos fils et de vos filles qui se pendent à
votre cou avec confiance, il est dans le temps que l’on consacre à ses enfants
pour les écouter ou jouer avec eux. Et oui le bonheur il est pour nous si nous
avons compris, comme l’a dit si joliment Diderot, que l’homme le plus heureux
c’est celui qui fait le bonheur d’un plus grand nombre d’autres. Tout est là,
il n’y a rien à faire, le bonheur se cache dans l’amour que nous éprouvons les
uns pour les autres, et plus précisément encore dans l’amour que nous
partageons. Oui grâce à l’amour, grâce à l’amour que nous jetons dans les actes
les plus quotidiens, le plus banal de notre vie peut devenir le plus sublime.
D’ailleurs regardons, contemplons, ça crève les yeux. Marie, la mère de Dieu,
l’immaculée conception, la plus belle et la plus parfaite créature que le monde
ait connue, qu’a-t-elle fait d’extraordinaire en cette nuit sainte ? Après
avoir mise au monde son enfant, elle l’a emmailloté comme font toutes les mères
pour que leurs petits soient bien au chaud, protégés par l’amour le plus
concret qui soit. Aimons notre vie
quotidienne. C’est en l’aimant qu’elle nous apparaîtra plus belle qu’elle ne
semblait. Oui livrons-nous à l’amour qui est la seule réalité capable de
transfigurer la vie. Et puis surtout n’oublions jamais que notre drame à nous,
pauvres humains, c’est que l’on a souvent peur d’un bonheur trop simple alors
on se complique et on le perd.
Et cette nuit, le Seigneur
Jésus Christ qui est Dieu, qui nous attend après la mort, et qui, en venant
parmi les hommes, en épousant notre condition humaine, le Seigneur Jésus Christ
nous supplie d’aimer notre vie telle qu’elle est, et de faire confiance plus
que jamais à Dieu notre Père qui la conduit, jour après jour, magnifiquement,
quoi qu’on en pense. Amen.